L’empathie peut-elle s’apprendre à l’école?

Pour lutter contre le harcèlement, le gouvernement souhaite développer l’empathie chez les élèves à travers des cours.

En septembre, le Ministre a annoncé la mise en place de cours d’empathie au programme scolaire, en maternelle et élémentaire, dès la rentrée 2024. Objectif: sensibiliser et lutter contre le harcèlement scolaire. Rappel: le harcèlement toucherait entre 800 000 et 1 000 000 000 d’enfants chaque année, soit 6 à 10% des élèves (voir le rapport du Sénat 2021).

Qu’est-ce l’empathie? “C’est à la fois la capacité de reconnaître les émotions des autres (empathie cognitive) et celle de ressentir ce que l’autre ressent et y apporter une réponse adaptée (empathie émotionnelle) définit Thomas Bourgeron (Institut Pasteur : unité génétique humaine et fonctions cognitives). Une étude de 2018, démontre qu’un dixième des variations du niveau d’empathie entre les individus s’expliquerait par les gènes. “Cela signifie qu’il peut être plus compliqué pour certains de reconnaître les émotions des autres et leur manifester de l’empathie” explique T. Bourgeron (pour aller plus loin voir l’article en ligne).

L’empathie est donc largement influencée par des facteurs environnementaux, en particulier la famille. Avoir seulement conscience que notre empathie n’est pas figée suffirait à influencer nos comportements. Violaine Kubiszewski (maître de conférences en psychologie à l’université de Franche-Comté) cite “des travaux américains qui suggèrent que, parmi les individus ayant un faible niveau d’empathie, ceux qui considèrent que cette faculté est malléable ont plus de chance de déjouer leurs comportements agressifs futurs que ceux qui pensent que c’est une compétence fixe.”

Une autre étude (Cambridge – octobre 23) a montré que les enfants qui étaient proches de leurs parents à l’âge de 3 ans manifestent plus d’empathie, de gentillesse et de générosité à l’adolescence.

Le type d’activités pratiquées a aussi son importance. “En racontant des histoires à nos enfants, nous leur permettons de se projeter dans la peau des personnages, si bien qu’ils apprennent progressivement à comprendre l’autre” pointe Omar Zanna (docteur en sociologie et en psychologie, professeur des universités en science de l’éducation, Le Mans Université). “Cela dépend donc du milieu social: tout le monde n’a pas le temps de lire des histoires à ses enfants, ni les moyens de les emmener au cinéma ou au théâtre.” complète le chercheur. Les projets REP+ “aujourd’hui on joue”, des livres à soi”, “ambassadeurs de livre”, les lieux de parentalité permettent aux parents du réseau de vivre ces situations de constructions de savoirs et savoirs-être.

L’empathie peut donc s’apprendre et l’école a un rôle majeur à jouer. “L’empathie se développe par le corps dans le cadre d’interactions” poursuit Omar Zanna (voir entretien télévision suisse). Dans ce but, le sociologue a imaginé le jeu des mousquetaires, utilisé en prison avec des mineurs avant d’être décliné dans des écoles de la Sarthe. Voir aussi la vidéo d’Omar Zanna (mardis de l’innovation) “des jeux pour éduquer à l’empathie”.

Le jeu des trois figures est un jeu théâtral original, créée par Serge Tisseron en 2005, centré sur les 3 figures de l’agresseur, de la victime et du tiers, qui peut être simple témoin, redresseur de tort ou sauveteur, animé chaque semaine par les enseignants après une formation initiale d’une année. Il concerne les enfants de la moyenne ou grande section de maternelle à la sixième de collège inclus. Un protocole légèrement différent est appliqué en cycle 4. Voir le livre en ligne: ICI.

La France entend s’inspirer du programme danois “Fri for Moberri” (“Libéré du harcèlement”) lancé en 2005 et adopté par environ la moitié des crèches et des écoles pour les enfants de 0 à 9 ans. Cette méthode consiste à développer l’empathie chez les petits via des activités pratiques, comme commenter des images montrant des situations de harcèlement. Une étude de 2017 sur l’impact du programme montre que les enfants qui le suivent seraient plus aptes à gérer les conflits par eux-mêmes et feraient plus preuve d’empathie envers les autres. Interview (RMC): David Brée, référent éducation à la Ligue de l’enseignement de Paris, présente la méthode Fri For Mobberi pour lutter contre le harcèlement scolaire. La Ligue a acquis les droits de la méthode danoise Fri For Mobberi (« libéré du harcèlement »), afin de la tester et la déployer en France, en commençant par deux cités éducatives, dans le 18e arrondissement de Paris et à Saint-Ouen, touchant ainsi environ 2400 élèves. Une étude devrait être publiée en 2024.

Au Canada, le programme “Racines de l’empathie” mis en place en 1996 dans les écoles défavorisées de Toronto, consiste à faire venir une mère et son bébé dans les classes élémentaires. “Au fil des rencontres, les élèves sont sensibilisés au développement du nourrisson et à son état profondément interdépendant. Ils apprennent à prendre soin d’un être vulnérable, à déchiffrer ses besoins, ses émotions.” détaille Charles-Antoine Barbeau-Meunier, sociologue à l’université canadienne de Sherbrooke. “Les études menées sur ce programme ont montré qu’il favorise bien le développement de l’empathie en classe. Il est associé à un déclin de la violence et du harcèlement, à une diminution du décrochage scolaire, et à une augmentation du sentiment d’appartenance et de la solidarité, se traduisant par une hausse des comportements prosociaux.”

Améliorer l’empathie des élèves est donc efficace pour lutter contre le harcèlement scolaire. “Des données empiriques suggèrent des liens entre la propension des témoins à défendre leurs camarades harcelés et leur niveau d’empathie” souligne Violaine Kubiszewski. Toutefois, l’empathie est une compétence socio-émotionnelle parmi d’autres, comme la maîtrise de soi, qu’il serait intéressant de développer à l’école (les compétences sociales et émotionnelles: voir lien).

“De plus, les comportements sont également modelés par les normes sociales” rajoute V. Kubiszewski. Le rapport à l’autre est aussi déterminé par le système éducatif dans son ensemble. Le classement PISA 2018 met le doigt sur cette différence éducative entre les pays: par exemple, en France seuls 45% des élèves ont déclaré coopérer entre eux dans leur établissement contre 81% des petits danois. Dès lors, difficile de copier-coller ce qui marche ailleurs si le système éducatif, voire la société ne fonctionne pas de la même façon. “Les interventions autour autour de l’empathie dans les pays scandinaves ont donné des effets probants dans un contexte culturel qui n’est pas celui de la France. Il faudra les évaluer scientifiquement dans nos écoles pour voir s’ils apportent les mêmes bénéfices” souligne V.Kubiszewski.

Les résultats PISA 2022 font le constat d’un mauvais climat disciplinaire en France. Il y a plus d’élèves en France qui déclarent ne pas pouvoir bien travailler durant le cours de maths (29% contre 23% dans l’OCDE). ” Dans la même veine, 42 % des élèves déclarent en 2022 que leurs camarades n’écoutaient pas ce que disait le professeur (moyenne OCDE : 30 % des élèves) et 39 % que le temps d’apprentissage était réduit car l’enseignant devait attendre longtemps que les élèves se calment. après le début du cours (moyenne OCDE : 25 %). Enfin, un élève sur deux déclare en France qu’il y avait du bruit et du désordre dans la plupart ou dans tous les cours (moyenne OCDE : 30 %)”. Sur ces points on observe une dégradation depuis 10 ans. Et cela contribue à augmenter l’écart entre les établissements favorisés et les autres.

La violence scolaire reste plus importante en France que dans la moyenne OCDE. 9% des élèves rapportent qu’ils sont fréquemment victimes de violence contre 8% en moyenne dans l’OCDE. Cela concerne plus souvent les filles que les garçons et les élèves des zones rurales que des zones urbaines.

Ce climat scolaire en France a un impact sur la relation à l’autre et le développement des compétences socio-émotionnelles des élèves. La démarche d’amélioration du climat scolaire déjà engagée dans les établissements devra donc renforcer, à la rentrée 2024, les actions permettant le développement de l’empathie.

Pour aller plus loin:

Le cerveau dans la main (ndvplouescat.bzh)

4 jeux pour stimuler l’empathie et la solidarité dans les groupes d’enfants (apprendreaeduquer.fr)

Le blog des ateliers de CANOPE

Les émotions à l’école (padlet d’Olivia Dulud)

Sources pour écrire l’article: science et vie no 1275 décembre 2023, café pédagogique du 5/12/23 (Lilia Ben Hamouda)